Nous sommes uniques au monde
Réflexion de Joseph LeBlanc, Ph.D., sur la justice sociale dans la formation en médecine, sur ce que l’Université de l’EMNO fait bien à cet égard et ce qui doit se passer ensuite.
Le doyen associé, Équité et inclusion à l’Université de l’EMNO, est franc, impassible et ferme : il est grand temps de tirer un trait sur le racisme dans les soins de santé; et cela commence dans la formation et la recherche en médecine.
« Nous devons créer un environnement où les actes de racisme sont continuellement sanctionnés comme il se doit, et où les futurs professionnels et professionnelles de la santé apprennent à confronter les problèmes systémiques causés par le racisme et le colonialisme » dit-il.
M. LeBlanc est le premier titulaire de ce portefeuille créé en 2020 pour promouvoir l’équité, augmenter la diversité et renforcer la culture d’inclusion parmi le corps professoral, le personnel, la population étudiante et les diplômées et diplômés.
Son vaste mandat couvre tout, depuis l’élaboration de politiques de lutte contre le racisme jusqu’aux droits linguistiques des francophones dans la formation dans les soins de santé, en passant par l’accessibilité, l’amplification des questions entourant le sexisme, les préjugés sur la capacité, et les droits des LGBTQQ2S+.
« Nous avons créé ce portefeuille pour aborder des injustices très sérieuses et pervasives dans les soins de santé dans le Nord et ailleurs, explique la Dre Sarita Verma, rectrice, vice-chancelière, doyenne et PDG de l’Université de l’EMNO. Nous savons que les personnes racialisées et marginalisées éprouvent davantage de difficulté à accéder à des soins sûrs et compétents. Nous savons que les personnes de couleur, surtout les femmes, sont plus susceptibles de vivre dans la pauvreté et de se heurter à des préjugés. C’est la réalité. L’Université de l’EMNO s’évertue à veiller à ce que chaque médecin qu’elle forme ait bien conscience des iniquités en santé dans le système et soit un fournisseur de soins compatissant qui montrera la voie et donnera l’exemple avec son attitude axée sur la justice sociale. C’est ce qui nous définit en tant qu’université. »
M. LeBlanc applaudit les mesures inédites que l’Université de l’EMNO a prises jusqu’à présent : « L’Université de l’EMNO a fait de la place pour le leadership et la participation dans l’enseignement et la recherche. Par exemple, il n’existe nulle part ailleurs de Chaire en histoire de la santé des Autochtones et en médecine traditionnelle autochtone ».
« Nous avons aussi établi le Comité universitaire de formation en santé des Autochtones, qui relève du Conseil de l’enseignement de l’Université (aujourd’hui le Sénat) et est crucial. C’est une place et une voix dans les hautes sphères sur ce que et comment la population étudiante apprend dans la formation sur la santé des Autochtones. »
« Nous offrons aussi une spécialisation en santé et bien-être des Autochtones, la première du genre au Canada. Les huit premiers étudiants en médecine viennent tout juste de terminer leur première année, ce qui est incroyable. »
« Nous sommes uniques au monde » affirme-t-il.
« Cependant, si nous étions vraiment équitables, nous n’aurions pas besoin d’une stratégie d’équité. »
Stratégie d’équité
M. LeBlanc et ses collègues définissent cette nouvelle stratégie et il dit qu’en termes philosophiques et concrets, le plan marquera un important virage systémique.
« Les vents actuels s’éloignent en fait de ‘l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI)’ pour s’orienter vers l’antiracisme, explique-t-il. Je veux que nous allions dans la décolonisation et l’antiracisme. »
Termes
Offre active : « L’offre apparente et active de services de santé en français… offre de services régulière et permanente auprès de la population francophone » comme le veut la Loi sur les services en français de l’Ontario.
Antiracisme : « Processus actif de repérage et d’élimination du racisme qui vise à changer les systèmes, les structures organisationnelles, les politiques, les pratiques et les attitudes afin que le pouvoir soit redistribué et partagé équitablement. »
Colonialisme : « Le colonialisme au Canada peut être mieux compris comme un processus de déconnexion forcée des Autochtones de la terre, de la culture et de la communauté par un autre groupe. »
Également : « La politique ou pratique d’acquérir le contrôle politique complet ou partiel d’un autre [lieu], de l’occuper avec des colons et de l’exploiter économiquement. »
Sécurité culturelle : « Résultat fondé sur un engagement respectueux qui reconnaît les déséquilibres de pouvoir dans le système de soins de santé et vise à les éliminer. Elle produit un environnement libre de racisme et de discrimination où les gens se sentent en sécurité quand ils reçoivent des soins. »
Décolonisation : « Autrefois considérée comme le processus officiel de cession des instruments gouvernementaux, elle est aujourd’hui reconnue comme une démarche à long terme impliquant la cession bureaucratique, culturelle, linguistique et psychologique [et le refus actif] du pouvoir colonial. »
Équité : « L’équité est le traitement juste et respectueux de toutes les personnes et passe par la création de possibilités et la réduction des disparités dans les possibilités et les résultats pour diverses communautés. Elle reconnaît aussi que ces disparités sont enracinées dans les injustices et désavantages historiques et contemporains. »
Sur le chemin pour devenir vraiment antiraciste, M. LeBlanc est d’avis qu’une approche d’EDI est un pas dans la bonne direction, mais ne « fait pas souvent de vagues » ou exige en fait le travail nécessaire pour devenir entièrement inclusif.
Il dit qu’en pratique la transformation en un établissement ouvertement et intentionnellement antiraciste ébranlera certaines personnes : c’est un refus direct et ouvert d’une vue du monde colonialiste axée sur les Blancs et ses corollaires, c.-à-d., le privilège blanc endémique et institutionnalisé.
Par exemple, dans un établissement d’enseignement entièrement transformé, M. LeBlanc pense que les admissions ne se concentreraient pas tant sur les chiffres de la diversité que sur la diversité en tant qu’ « atout institutionnel » qui aide à « rétablir un sens de la communauté et de l’entraide. »
« C’est très différent de ‘Trouvons des cibles d’admission qui nous conviennent’. »
M. LeBlanc admet que les buts de l’admission diversifiée sont importants pour faire avancer la responsabilité sociale dans le cadre du plan stratégique de l’Université de l’EMNO. En même temps, il veut voir un remaniement du processus d’admission dans l’optique radicale de l’antiracisme et de l’anticolonialisme.
« La porte de l’Université de l’EMNO est ouverte à la population étudiante autochtone, dit-il. Regardez les pourcentages : nous sommes à 17 pour cent encore d’Autochtones dans cette classe de médecine et notre but est d’en avoir 20 pour cent. Mais il ne s’agit pas seulement des chiffres, Nous devons nous examiner (ainsi que le programme d’études) et faire le dur travail de changement. »
La « porte d’en avant »
M. LeBlanc compare le processus d’admission à la « porte d’en avant » de l’Université de l’EMNO et dit que l’équipe des admissions doit faire partie des gens qui ont le pouvoir de signaler les candidates et candidats qui ne répondent pas aux nouveaux critères ou qui n’ont pas une attitude antiraciste et ne comprennent pas le mandat de justice sociale de l’Université.
« Avec le virage vers l’antiracisme, nous regardons maintenant le reste de la classe. Qui sont ces personnes? Sont-elles racistes? Y a-t-il des preuves que nous puissions remédier au racisme? Il n’y en a pas. »
« Alors que fait une école antiraciste et axée sur la décolonisation? Elle doit regarder la totalité de la classe et examiner son attitude envers l’antiracisme et la décolonisation. »
« Souvent, je pense que l’équipe des admissions se demande simplement ‘Qui terminera sa formation? Qui réussira bien dans les cours?’ »
« Non, la question devrait être ‘Qui fera du mal dans le monde?’ »
« Cette ‘maison’, poursuit-il, accorde de l’importance à la formation sur la sécurité culturelle autochtone (SCA) et à l’offre active à tel point que nous ne nous attendons pas à ce que vous la suiviez pendant vos études ici. »
« L’année prochaine, nous demanderons à tous les nouveaux étudiants et nouvelles étudiantes en médecine admis de présenter un des trois certificats de SCA et celui de l’offre active avec leurs certificats de vaccination et de secourisme. »
« C’est une grande question. Si, en tant que fournisseurs de services de santé dans le Nord de l’Ontario, vous ne voulez pas consacrer trois heures à l’apprentissage des droits des francophones de se faire servir en français… vous avez un gros problème. »
M. LeBlanc dit aussi que les futurs candidats et candidates à l’Université de l’EMNO peuvent aussi s’attendre à un examen de leurs messages dans les médias sociaux et à signer une entente obligatoire de professionnalisme dès leur arrivée.
« Cela est explicitement lié au racisme, au sexisme, aux préjugés sur la capacité et à d’autres choses. Par conséquent, si à l’avenir vous faites quelque chose comme afficher dans Facebook un message qui porte atteinte aux étudiants musulmans, par exemple, vous pourrez vous attendre à des conséquences. »
Actionnisme
Un élément philosophique important de la vision exposée par M. LeBlanc et ses collègues est d’instiller une attitude « d’actionniste » chez les futurs médecins.
Les médecins formés à l’Université de l’EMNO apprennent l’importance de défendre les intérêts de leurs patients, une action importante pour la justice sociale, explique-t-il.
« Mais alors que la défense des intérêts, qui peut par exemple consister à se tenir devant un micro et à miser sur votre blouse blanche pour demander au public et au gouvernement d’appuyer une cause ou une question de santé, est une compétence professionnelle, l’actionniste demande plutôt aux médecins de s’approprier directement ce qu’ils peuvent changer. »
Par exemple, « l’actionnisme consiste pour un médecin dans une communauté éloignée, à connaître les gens qui s’occupent du jardin communautaire. Vous leur dites ‘Je reviens dans un avion vide, puis-je vous rapporter quelque chose d’utile pour vous aider ou pour votre jardin?’ »
« Dans cet exemple, agir (promouvoir l’actionnisme) aidera peut-être les membres de la communauté à avoir un meilleur jardin et à être en meilleure santé en général. N’est-ce pas le rôle d’un médecin? Aider les gens à être en bonne santé? Dans ce qui définit actuellement un médecin, faire quelque chose comme cela ne serait jamais pris en compte dans les paramètres. Mais c’est ce qu’un actionniste fait. »
Pour l’avenir
M. LeBlanc a présenté la stratégie d’équité au conseil en décembre 2021. À part les recommandations sur le recrutement et les admissions, ses collègues et lui estiment que l’Université doit se concentrer sur trois autres domaines dans une optique antiraciste : l’élaboration de programmes d’études, la défense des intérêts et l’éducation du public, et la recherche.
Il souligne que le conseil a accepté toutes les recommandations et que la plupart du travail indiqué dans le plan est déjà en cours.
Quant à l’acceptation officielle de l’Université de l’EMNO, c’est « tous les systèmes sont de la partie ».
La motion d’approbation du conseil indique : « L’Université doit veiller à ce que les initiatives visant l’équité soient fortement prioritaires dans la future budgétisation des priorités » et « l’Université de l’EMNO doit s’engager dans un processus permanent d’autoréflexion et veiller à ce que cet engagement soit sacré. »
« L’Université de l’EMNO s’affairera à devenir un établissement complètement transformé, déclare la Dre Verma. C’est déjà dans notre ADN. Il n’y a pas de mal à jeter un regard critique sur les systèmes qui définissent un établissement. Au contraire, il peut être très préjudiciable de ne rien faire. »
« Je considère ces recommandations comme des directives, ajoute-t-elle. Il ne s’agit plus d’ « aspirer »
à l’inclusivité complète. Il s’agit des moyens à prendre pour y arriver.